Songe des 9 ans de Don Bosco : sœur Anne-Flore Magnan et frère Alban Pelletier explorent et actualisent la fameuse phrase « Rends-toi fort, humble et robuste »


En 1824, alors qu’il est âgé de 9 ans, saint Jean Bosco a fait un rêve qui allait changer sa vie. En cette année 2024, année du bicentenaire de ce songe, l’occasion est belle de relire ce texte disponible en cliquant ici. A l’occasion du grand rassemblement de la famille salésienne en Italie (Castelnuovo Don Bosco et Turin, lire l’article Becchi 2024, quatre cents pèlerins réunis autour du rêve d’un petit garçon de 9 ans), sœur Anne-Flore Magnan, salésienne de Don Bosco, et frère Alban Pelletier, salésien, ont pris le temps d’approfondir une phrase, un peu mystérieuse, confiée dans ce rêve par Marie à Jean Bosco comme programme éducatif : « Rends-toi fort, humble et robuste« . Comment Jean Bosco, devenu adulte, l’a traduite dans sa pratique auprès des jeunes ? Comment nous, parents, grands-parents, animateurs, éducateurs, enseignants, pouvons-nous nous en inspirer ?

Dans ce songe, Jésus, que le petit enfant piémontais ne reconnait pas, a quelques phrases fortes que Don Bosco n’oubliera jamais : « Ce n’est pas avec des coups, mais par la mansuétude et la charité que tu devras gagner tes amis que voici (…) C’est justement parce que ces choses te paraissent impossibles que tu dois les rendre possibles (…) Tu comprendras tout en son temps (…) » Mais, au cœur de la pédagogie salésienne, la phrase « Rends-toi fort, humble et robuste » est souvent reprise.

FORT ?

« En éducation, il faut de la force pour oser proposer quelque chose, oser se mettre en chemin, parce qu’on croit que le jeune est capable de réussir« , explique sœur Anne-Flore Magnan, 37 ans, directrice de l’internat Don Bosco Ganshoren (Bruxelles). Comment un enfant de 9 ans peut-il se sentir fort, interroge-t-elle. Avant de proposer une réponse : « Par la force du regard d’un adulte : s’il n’y a pas le regard de l’adulte, cet appel premier à se mettre en mouvement, le jeune n’avance pas. Cette force du regard, c’est le regard de Don Bosco bien sûr, mais c’est en amont le regard de Dieu, qui a choisi la pédagogie de l’incarnation. Un regard qui autorise, encourage, valorise, relève et pardonne, qui appelle à la vie. » Et de citer saint François de Sales : « Rien n’est aussi fort que la douceur. Rien n’est aussi doux que la force véritable. La force est le fruit des doux. »

HUMBLE ?

« En éducation, il faut accepter l’humilité de mon action, la démaîtrise« , témoigne frère Alban Pelletier, 33 ans, éducateur, en communauté depuis septembre à Argenteuil, après avoir été éducateur dans un foyer du réseau Don Bosco Action sociale (DBAS) à Caen. « Le jeune en face de moi est un sujet, pas un objet ! Il prend ses propres décisions, a sa personnalité, son intériorité qui m’échappe, ses limites à apprivoiser… Donc, il ne répond jamais totalement à mes attentes. Voire, parfois, son comportement ne répond vraiment pas à mes attentes et à celles de la société. »

Et le jeune religieux salésien d’aller plus loin : « Même quand extérieurement, on a l’impression que notre action éducative a échoué, il faut peut-être plutôt savoir questionner nos critères de « réussite ». Il a peut-être réussi suivant d’autres points de vue que les miens, ou bien alors notre action éducative aura un impact plus tard. Ou autrement. » L’humilité, ce n’est pas croire que notre action éducative est inutile, c’est donner le meilleur des talents que nous avons reçu, puis accepter que le résultat de cette action de nous appartient plus.

ROBUSTE ?

Voilà un mot que l’on n’attendrait pas forcément dans les pratiques éducatives. « Derrière ce mot robuste, il y a la notion d’inefficacité, ne pas toujours avoir des attentes. Et donc la notion de gratuité, cette fameuse présence gratuite chère à Don Bosco. » Frère Alban reprend le concept du biologiste français Olivier Hamand, pour qui le principe de robustesse s’oppose à celui de la performance : « On a parfois l’impression que la nature est performante. En fait, non, elle est robuste. Savez-vous qu’une plante convertit en photosynthèse moins d’1% du rayonnement solaire qu’elle reçoit ? (…) L’enjeu final de l’éducation, ce n’est donc peut-être pas la performance de notre action, mais la présence réelle auprès des jeunes, gratuite. Pas parce que cela va changer quoi que ce soit, mais parce que cela dit quelque chose de la dignité de la personne en face de moi. »
Sœur Anne-Flore prolonge en puisant dans la Bible : « Dans les Evangiles, avez-vous remarqué l’importance du verbe demeurer ? Demeurer, comme faire maison, comme faire Famille salésienne. » Comme dans une famille, il faut laisser la place à l’autre. Derrière le mot robuste, il y a donc aussi une notion de durabilité, « car je ne serai pas toujours là pour l’enfant, d’autres seront là. » Demeurer, dans la difficulté, demeurer, sans jamais fermer la porte de la relation éducative de manière définitive. D’ailleurs, certains, comme le père Jean-Marie Petitclerc, préfèrent utiliser le mot « persévérance » plutôt que « robustesse » pour traduire l’italien.

Enfin, sœur Anne-Flore et frère Alban relèvent aussi la question du processus, du mouvement. Lorsque Marie s’adresse à Jean Bosco, elle commence en disant « Rends-toi »... comme pour lui dire : pas après pas, deviens cette personne forte, humble et robuste.
La vie même est mouvement. L’éducation est un chemin où tout ce qui n’est pas donné est perdu. Si l’on donne, ce n’est pas parce que c’est facile ou que cela nous plait, c’est parce que c’est juste de le vivre ainsi. Soit nous donnons, et peut-être que la vie jaillira, soit nous gardons pour nous, et cela meurt. L’éducateur, quelque que soit son lieu d’intervention, aura à chaque fois à vivre son propre chemin de transformation pour pouvoir donner aux autres.