Thérèse Watripont, institutrice et directrice de l’école primaire de Thieulain, dans le Hainaut belge, a anticipé sa retraite pour s’engager auprès des jeunes Rwandais avec les Salésiens. Elle a passé plus de 20 ans très actifs au pays des mille collines.
Ce dimanche-là, Thérèse se sent interpellée par l’évangile qui raconte l’appel des disciples. « Et moi, suis-je disponible ? » L’après-midi, le père Victor Buttol, du Centre de Jeunes Don Bosco de Petit-Hornu, en Belgique, l’invite à participer au camp chantier qui se fera au Rwanda. C’est « Oui ! ». Mais les événements tragiques de 1994 ne permettent pas de réaliser le voyage projeté. Bouleversée par les terribles images du génocide, elle refuse l’impuissance et décide de faire quelque chose. L’occasion vient en 1995, quand le pays est assez sûr pour qu’ait lieu le camp chantier avec des jeunes du foyer.
Elle enchaîne les séjours, année après année, pour rendre des services. En janvier 2001, elle va plus loin, elle prend sa préretraite, à 55 ans, pour consacrer ses forces à l’éducation des jeunes rwandais. Elle intègre le foyer de Gatenga et l’école des enfants de la rue, petits acrobates et tambourinaires. Elle donne des cours, gère la bibliothèque, anime le centre aéré. Elle aide les jeunes à comprendre la grammaire, aide aux devoirs. Avec le père Danko, un Salésien Croate, elle crée les « petits chanteurs à l’étoile » qui parcourent les rues au temps de Noël et diffusent une ambiance de fête chrétienne. Ce sont les enfants qui témoignent de l’évangile et proclament la paix. Elle fonde le groupe des Salésiens coopérateurs.
Une nouvelle vie à Muhazi
Peu à peu, un projet naît dans sa tête : réhabiliter la maison de Muhazi, abandonnée depuis une trentaine d’années à cause de l’insécurité. La paix est revenue, et la région est si belle, avec les collines boisées qui descendent au bord du lac, les fleurs et les oiseaux. La maison est à trente kilomètres de la capitale, Kigali, et pourrait devenir un centre spirituel et un lieu de vacances pour les jeunes de Gatenga.
À la réflexion, le centre aura une fonction sociale. Il y a une demande des enfants et des parents pour l’alphabétisation et une formation aux métiers. La région est isolée, l’habitat est dispersé, les familles trop pauvres, les enfants n’ont pas les moyens d’aller à l’internat à Kigali.
La réhabilitation des bâtiments commence en 2002. La grande salle polyvalente peut recevoir des groupes. On canalise l’eau de source, met en place des citernes pour recueillir l’eau de pluie. On aménage une petite ferme avec des vaches, des poules, des canards. On achète des terrains pour le sport et les jeux. Bientôt on construit des classes et on place des panneaux solaires. Tout se crée peu à peu avec de petits moyens et beaucoup de ténacité.
En 2008, le centre s’organise. Il peut prétendre à une éducation intégrale et offrir une formation professionnelle, ainsi qu’un enseignement adapté : on prend les jeunes là où ils en sont, certains n’ont pas fait le cycle complet des primaires en raison de la pauvreté ou de leur situation d’orphelins. D’autres, plus âgés, ont dû prendre le rôle de chefs de famille après le génocide, et sont restés analphabètes.
Main dans la main avec les jeunes et leurs familles
Le projet va prendre de l’envergure. Thérèse devient coordinatrice du Bureau de Planification et de développement de Kigali. Elle collabore avec le Bureau du travail et d’orientation de Gatenga. En 2005, elle fonde l’association « Urunana » qui veut dire « main dans la main » avec les parents de ses anciens élèves de Thieulain. D’autres associations, salésiennes ou non, viennent en aide, elle obtient des subsides. Elle peut compter sur des bénévoles, le Centre de Jeunes Don Bosco de Petit-Hornu continue ses chantiers tous les deux ans, Irène passe régulièrement un mois ou deux pour organiser un atelier de couture. Il y a aussi les sœurs de Saint Vincent de Paul qui donnent des cours et organisent des ateliers.
Un grand hangar abrite les ateliers de construction ; les apprentis maçons reçoivent un kit d’outillage de base qu’ils emportent à la fin de leurs études : ainsi, ils trouvent vite du travail. Il y a une section mécanique. Une filière « agri-alpage » (Muhazi est à 1400 mètres) cultive notamment des caféiers d’excellente qualité. À la ferme on développe le petit élevage, lapins et basse-cour, qui ne demanderont pas de gros investissements, mais permettront aux élèves de mettre sur pied leur petite entreprise ; c’est important dans cet environnement rural. Le potager permet de varier la cuisine. La section boulangerie pâtisserie a du succès, et sort les petits plats lors des fêtes. Les machines à coudre mécaniques venues de Belgique par conteneurs ont permis l’apprentissage de la couture. L’arrivée de l’électricité permet maintenant d’initier aux nouvelles machines à coudre. On y fabrique les uniformes des élèves, ainsi que les robes et les costumes des jours de fête. Les conteneurs sont transformés en bibliothèque. En 2011, le Centre a pu remettre les premiers Certificats d’Aptitude Professionnelle.
Les événements chrétiens sont l’occasion de célébrations festives, avec les joueurs de tambour, les danseuses et les danseurs, coiffés de raphia, manipulant les lances garnies de motifs géométriques typiques. C’est l’occasion alors d’accueillir des visiteurs qui soutiennent le projet, encouragent les jeunes et les adultes éducateurs. Ces festivités célèbrent un élément clé de la pédagogie : l’apprentissage du vivre ensemble.
L’année scolaire 2022-2023 a commencé avec 279 élèves, dont 66 en alphabétisation et année préparatoire. La situation est redevenue plus normale après les longues périodes difficiles liées au confinement et aux règles sanitaires. Les 54 finalistes ont pu effectuer leur stage et ont tous trouvé de l’emploi. 45 d’entre eux ont été engagés sur leur lieu de stage. Déjà, la petite ville de Gikomero a changé, devenue plus belle, le niveau économique a monté.
Le projet est solide et a gagné la confiance de plusieurs ONG aux objectifs divers : la formation culturelle et technique, le développement de la campagne, la promotion des filles et des femmes. Un nouveau bâtiment en construction accueillera des classes, des locaux pour le personnel, une salle d’informatique.
Thérèse est maintenant rentrée en Belgique après 21 années de présence active au Rwanda. Une contre-indication au vaccin anti covid l’empêche de se rendre à Muhazi ou au bureau de projets. Elle assure le suivi du projet grâce au travail en ligne.
Père Jean-François MEURS