Dans la famille salésienne, on ne le présente plus. Il a 3 mètres de CD chez lui, a des goûts musicaux assez éclectiques, aimant tout autant le jazz (surtout celui du milieu du XXe siècle, précise-t-il) que la chanson française ou la musique classique. Il est à la fois prêtre salésien, compositeur, animateur de chorale, accompagnateur à la guitare de nombreux rassemblements salésiens … Le père Paul Ripaud, salésien de Don Bosco, revient sur la place qu’a occupée la musique dans sa vie. Portrait d’un artiste.
La musique ? Je crois que je suis né dedans ! Papa avait joué de l’orgue et tenait le tuba dans la fanfare Saint Paul. Mes deux frères aînés, âgés de douze et onze ans de plus que moi, jouaient l’un du clairon et de la trompette de cavalerie (il a d’ailleurs fait son service militaire dans la musique), l’autre du bugle. Il n’y avait pas de phonographe à la maison, ni de poste de radio, alors on jouait de la musique et on chantait ! Maman, simple fille de paysan, avait une bonne voix et connaissait curieusement beaucoup d’airs d’opérettes. L’atmosphère était assez musicale à la maison !
Une passion précoce
Entré en sixième au petit séminaire, je désirais entrer dans la chorale ; hélas, ma voix commençait à muer et j’en ai été très déçu ! J’ai alors commencé à apprendre l’harmonium avec un très bon professeur, très exigeant. Nous avions très peu de cours de musique et c’est tout seul que j’ai dû travailler le solfège. Arrivé en classe de troisième, j’ai changé d’établissement. Le professeur d’orgue n’était ni intéressant, ni exigeant, si bien que je me suis plus donné au foot (mon autre passion) qu’à la musique. Cependant, j’ai enfin été pris comme ténor dans la chorale. Quelle joie !
C’est à cette époque qu’un prof passionné de musique avait acheté un énorme poste de radio qui faisait aussi « tourne-disque » et le dimanche soir, de 5 heures à 7 heures, il proposait aux volontaires une audition d’œuvres commentées. C’était tout simplement passionnant ! Je crois n’avoir loupé aucune séance ! Avec deux autres copains, deux cousins, dont l’un, Jean François Loizeau, est devenu plus tard évêque de Digne, nous discutions musique et pendant les vacances nous écoutions, chacun de notre côté, une émission, animée, si mes souvenirs sont bons, par Jean Vitold. Cette émission alimentait nos conversations au retour.
En classe de terminale, c’est moi qui donnais des cours de chant et de musique à mes condisciples que je côtoyais depuis six ans. C’est à cette époque que j’ai écrit ma première « composition », inspirée par le père Duval : « Seigneur, mon ami/ Je t’offre mes soucis/ mes joies et puis mes peines/, mes travaux mes douleurs/ ma vie et mon bonheur/ Mon âme qui est pleine / de Toi ».
Cette année-là, je passais trop de temps à faire de la musique ou à écrire des poèmes qu’à faire de la philo, ce qui me valut d’échouer lamentablement à ma deuxième partie du Bac !
Orchestre et théologie
Ensuite, toute une succession d’événements ont été liés à la musique : de la participation au « petit chœur » à la direction des chants et de chorales ensuite chez les Salésiens ; où les supérieurs ont toujours favorisé ma passion. Depuis longtemps, j’avais renoncé à l’orgue. C’est alors que j’ai commencé à toucher à la contrebasse à cordes.
En théologie, à Lyon, j’ai intégré l’orchestre des théologiens et j’ai commencé, en même temps la guitare. Très vite, j’ai rejoint, à La Croix Rousse, une chorale de jeunes que Guy de Fato venait de lancer pour chanter des « chants rythmés », une nouveauté à l’époque post-conciliaire. J’étais chargé de faire répéter les voix d’hommes et j’avais aussi ma place dans l’orchestre. Nous avons enregistré quelques disques (Ressuscité, Vers l’homme, ainsi que des 45 tours de la collection Louez Dieu) Nous avons accompagné souvent John Littleton ou John Williams dans leurs concerts sur Lyon et sa banlieue. Les Bardanes, notre chorale s’est ainsi produite à la salle de la Mutualité à Paris, au Palais des Sports de Gerlan, à Lyon, au festival de Jazz de Juan les Pins et même au temple protestant de Lausanne, en Suisse !
En 1970, la théologie achevée, j’ai intégré le Prieuré de Binson, dans la Marne où l’on m’a confié la direction de la chorale et, par la suite, les cours d’éducation musicale. Pour être professeur certifié, j’ai alors entrepris de préparer une licence de musicologie en Sorbonne. Pour cela j’ai dû reprendre les cours de piano et de saxophone au conservatoire de musique de Reims. Après avoir été reçu au CAPES, j’ai pu continuer à enseigner la musique en collège au Prieuré pendant 21 ans puis à Bailleul dans le Nord pendant dix ans. Au cours de cette période bailleuloise, nous avons monté presque chaque année, en collaboration avec un bon nombre de professeurs, un spectacle musical qui mettait en scène une bonne centaine d’élèves et parmi eux il y avait un véritable orchestre. Quelles belles années !
L’âge de la retraite ayant sonné, j’ai quitté le Nord pour le Midi, direction La Navarre, une maison fondée par Don Bosco lui-même, à la suite d’un songe. Avec deux éducateurs, en lien avec Nicolas Porte et les Petits Chanteurs de Saint Marc (rendus célèbres par leur contribution au film de Christophe Barratier), nous avons lancé une chorale de jeunes garçons : Les Petits Chanteurs de La Navarre. Avec ce groupe, nous avons participé à de grands événements tels que le Chapitre Général des Salésiens à Rome ou le Congrès Mondial des Pueri Cantores à Cracovie, sans compter les sessions de travail à Barcelone, à Venise ou à Rome.
Un souvenir en particulier ? Un jour, alors que je participais à un congrès mondial des ADB à Rome, le Recteur Majeur, don Pascual Chavez, m’a invité à venir chanter à la fin du repas dans le réfectoire de la Maison Générale. Comme j’avais écrit quelque temps auparavant la chanson à Maman Marguerite, je l’ai interprétée devant une assemblée de personnalités. Et, pour me récompenser, Don Chavez a enlevé la croix de sa veste et me l’a donnée. Ce fut un moment très émouvant !
Avec Marie Anne Sferuzza pour les paroles, nous avons composé une quinzaine de chants, dont plusieurs à Don Bosco qui ont fait l’objet d’un CD intitulé : Don Bosco nous rapproche. Depuis, j’écris des chansons bibliques ou évangéliques et avec deux amis musiciens (Violon et Guitare), il nous arrive de donner quelques concerts. En outre, depuis de nombreuses années, j’accompagne à la guitare les rassemblements des confrères pour les liturgies. Dernièrement, en 2022, j’ai participé avec ma basse à l’enregistrement de la partie orchestre des chants à Marie Dominique que nous avons enregistré avec Gauthier Fanucci, Marie Piro, Dominique Dubois et Alban Pelletier (Défi musical « Chante-moi Marie-Do » : à partir du 7 mai, sept chants enregistrés en studio à Paris à découvrir sur youtube – Don Bosco Aujourd’hui (don-bosco.net).
« La musique m’a comblé »
En résumé, c’est une vie où la passion de la musique a occupé une grande place, en partage avec ma vie de religieux salésien. Est-ce cela une vie d’artiste ? Peut-être, mais je n’ai pas la prétention de le dire. Comme personne, la musique m’a comblé : j’y ai trouvé de grandes émotions et un mode d’expression passionnant. Comme prêtre, j’estime que la musique a une part importante dans la liturgie, c’est la respiration de l’âme, elle nourrit et elle élève. Quoi de plus ‘spirituel’ que la musique ?
Comme Salésien, pratiquer la musique avec les jeunes, c’est extraordinaire ! Diriger une chorale, c’est faire vivre de grandes valeurs telles que la solidarité, le partage, l’écoute, l’attention à l’autre et au groupe … C’est aussi faire vivre, en communion, de grandes émotions et c’est ouvrir à la beauté, à l’harmonie.
Mon exemple a fait parfois surgir des vocations de musiciens. La passion ne se transmet pas par la parole, elle se communique par contagion. Le but de mon enseignement a toujours été d’ouvrir aux autres les portes d’un trésor et de leur donner les moyens d’y entrer.
Propos recueillis par Nicolas BOGAERT