Charles-Edouard Harang : « L’éducation des jeunes par les jeunes, c’est ça le scoutisme »

Charles-Edouard Harang ©dr

Charles-Édouard Harang est historien, spécialiste des mouvements de jeunesse. Il retrace les 100 ans des Scouts et Guides de France dans un livre très documenté : L’Aventure par nature. DBA l’a interviewé. Il met en relief les adaptations et la continuité de la pédagogie scoute à travers les changements culturels de ce siècle.

Pouvez-vous donner une vue d’ensemble du mouvement pendant ces 100 années du scoutisme catholique de France ?

Charles-Édouard Harang : Créé par Baden Powell en 1907, le scoutisme s’est rapidement implanté en Europe et ailleurs. En France, il a été adapté au contexte du pays et du catholicisme. Il fallait faire accepter la méthode active, qui fait confiance aux garçons et aux filles, l’éducation des jeunes par les jeunes, avec des nouveautés comme le « campisme », l’aventure et le développement de l’autonomie, surtout pour les filles. L’Église a commencé par se méfier de ce mouvement né dans un contexte protestant, faisant place aux laïcs, indépendant des paroisses, même si les troupes avaient un aumônier. Il faisait concurrence aux patronages aux mains des prêtres. Des ecclésiastiques et des femmes issues du catholicisme social ont réussi à convaincre et à élaborer une spiritualité adaptée. Les Scouts de France fondés en 1920 et les Guides de France fondées en 1923 ont connu un vif succès dans les années 20 et 30. En 1939, ils avaient déjà une forte visibilité et une culture scoute développée, notamment dans le théâtre, dans les romans…

Et arrive la guerre…

Durant la guerre, il a été interdit en zone occupée. La clandestinité a développé un esprit favorable à la résistance. Dans la zone de Vichy, le fond patriotique favorisait le soutien au régime de Pétain, qui proclamait son catholicisme. Le scoutisme, sensible aux victimes de la pénurie, a organisé des camps pour des jeunes enfants.

La guerre terminée, le scoutisme a repris sa croissance, sans remise en question, mais en introduisant la dimension missionnaire et l’intérêt pour les pays lointains. C’est à partir de 1960 qu’il a senti la nécessité d’une réforme. La population était en majorité urbaine, les jeunes frottés à la culture yéyé avaient de nouvelles aspirations. D’autre part, la réforme scolaire avait introduit une séparation des tranches d’âge adolescentes. En 1964-65, la direction du mouvement sépare les 12/14 ans et les 14/17 ans. C’était casser le système des patrouilles où les plus âgés sont responsables des plus jeunes. Des troupes s’affilièrent aux Scouts d’Europe ou créèrent les Scouts unitaires qui refusaient ce changement. Les Scouts et les Guides de France ont vu leurs effectifs chuter. C’était aussi l’époque de mai 68 avec sa remise en question des autorités et des institutions.

Après la réforme, l’apaisement ?

En effet, les années 80 ont marqué un apaisement mais aussi un nouveau départ, avec un retour à l’identité visible (les uniformes) et une restructuration du mouvement. Un nouveau défi se met en route : la mixité et le rapprochement entre les scouts et les guides. C’était dans l’air du temps et rejoignait une attente des familles. La fusion n’eut pas lieu et les scouts partirent seuls dans des expériences de mixité dès 1983. Elle s’est faite à une date relativement récente, en 2004.

Comment le mouvement scout continue-t-il de déployer son identité catholique ?

C’est un catholicisme ouvert à tous, croyants ou non. La pédagogie est fondamentalement catholique, et elle trouve son expression spécifique par le coin prière, les célébrations, les références aux évangiles, la présence d’aumôniers. Il ne s’agit pas de convertir, mais de témoigner ; les jeunes peuvent faire des découvertes qui conduisent au baptême ou à la confirmation. La foi s’incarne dans la vie et par l’action : la fameuse B.A., l’esprit de service. Les aumôniers se faisant rares, des adultes accompagnent : c’est la spiritualité des disciples d’Emmaüs, le Christ, incognito, qui accompagne ceux qui cheminent et qui se fait reconnaître. Ces accompagnateurs portent le nom de Cléophas, l’un des deux disciples du récit.

Un des ingrédients du scoutisme est l’aventure. A-t-elle changé ?

Elle change, sans trop changer. Elle commence par le contact avec la nature. Aujourd’hui, c’est de plus en plus vrai pour des jeunes issus de l’espace urbain. Mais elle a toujours été un milieu de découvertes et d’expériences nouvelles : un lever de soleil, les étoiles et la nuit noire, allumer un feu de camp. L’aventure est aussi dans l’imaginaire qui inspire les jeux et fournit des thèmes de veillées. Les scouts ont été des explorateurs, puis des chevaliers avec les valeurs du Moyen Age, les missionnaires dans les pays exotiques, l’aventure de l’espace, une immersion dans l’histoire avec les jeux de rôle. L’aventure se trouve encore dans les actions citoyennes et sociales : les camps services avec le Secours catholique ou le mouvement Emmaüs, avec les pompiers pour surveiller les feux de forêt dans le Midi. Elle prend une dimension internationale dans les chantiers en Roumanie ou ailleurs.

Pourquoi la fédération des guides fut-elle réticente à la fusion ? L’aventure est-elle différente pour les filles et les garçons ?

Les dirigeantes des guides estimaient que la mixité envisagée par le masculin ne laissait pas assez d’autonomie aux filles, qu’elles n’y trouveraient pas leur espace spécifique. Les scouts étaient dans le « savoir-faire », alors que les guides avaient toujours insisté sur le « savoir être » personnel et en société. Si la doctrine est l’égalité de l’homme et de la femme, selon Genèse 2, il faut cependant maintenir les différences. C’est un équilibre à trouver. Les scouts n’éprouvaient pas le besoin de changer, alors, les temps n’étaient pas mûrs. L’imaginaire masculin et féminin est différent, et les filles acceptent mieux celui des garçons que l’inverse.

Chez les scouts, on aime les termes de « chef » : qu’en est-il de la démocratie ?

Le mot scout signifie éclaireur. C’est celui qui va devant et qui ouvre le chemin. Chez les guides, Jeanne d’Arc a eu beaucoup d’importance, c’est une meneuse. Dans les premiers temps, la hiérarchie a été valorisée, mais toujours dans le respect : le mot d’ordre a toujours été : « ask the boy », tiens compte de l’avis du jeune. Dans les années soixante, l’air du temps était aux responsables « animateurs », pour souligner l’aspect horizontal, la responsabilité partagée par tous, la cogestion. Ce dernier terme était trop marqué par le syndicalisme ! On est revenu au vocabulaire du chef lors de la restructuration des années 80, mais sans retour en arrière, sans le sens hiérarchique. Cependant, on insiste sur la formation et les compétences. D’autre part, il y a le jeu des conseils à tous les niveaux, où l’on évalue et où on discute les projets, dans un débat démocratique.

Scout toujours : le scoutisme, ça laisse des traces ?

On trouve beaucoup de scouts à des postes de responsabilité, dans des associations, dans des entreprises, dans la vie politique, dans la vie militaire. Ils ont appris à mener une équipe, à motiver les troupes. Ils montrent de la débrouillardise. C’est un bonus dans un curriculum vitae !

Propos recueillis par Jean-François MEURS

L’Aventure par nature, les Presses d’Ile-de-France, 2021.

Le Père Xavier de Verchère – Photo : Clément Daveau

L’aumônier national est un Salésien

Depuis septembre 2020, l’aumônier général du mouvement des scouts et guides de France (SGDF) est un Salésien de Don Bosco. Le père Xavier de Verchère a succédé à Benoît Vandeputte, Dominicain. Ingénieur de formation, Xavier est âgé de 45 ans et est l’actuel économe de la Province des salésiens de France-Belgique Sud-Maroc. Lyonnais d’origine, il a découvert le mouvement scout à l’âge de… 7 ans. C’est dire s’il connaît !