Conférence Valdocco avec Mgr Vesco et P. Jean-Marie Petitclerc : la fraternité, source d’espérance

« Vous êtes tous frères » (Mt 23,8) : la fraternité était le thème de la conférence de l’association salésienne, Le Valdocco, à Lyon, le 28 novembre, donnée par Mgr Jean-Paul Vesco et père Jean-Marie Petitclerc. Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, a été provincial des dominicains de France avant de devenir évêque d’Oran en 2012, puis d’Alger en 2021. Il appuie sa réflexion sur son expérience de fraternité en pays musulman. Le père Jean-Marie Petitclerc, salésien de Don Bosco, est l’actuel vicaire provincial de la congrégation, et le coordinateur du réseau Don Bosco Action sociale.

D’abord la béatification des 19 martyrs d’Algérie le 8 décembre 2018 au sanctuaire de Santa Cruz d’Oran. Un tel événement risquait de blesser les Algériens, après la colonisation, et plus récemment la guerre civile armée dont les martyrs ont été victimes. La célébration a été rendu possible parce que cette béatification a mis l’accent sur la fraternité. Mgr Pierre Claverie, les moines de Thibirine et les autres savaient qu’ils risquaient leur vie en choisissant de rester en Algérie par fidélité au peuple algérien dont ils partageaient l’existence et les souffrances. À travers cette cérémonie, l’Eglise a voulu dire qu’il est possible de vivre des relations d’amitié, de fraternité et d’estime avec les musulmans. Y étaient d’ailleurs associés les imams et les nombreux musulmans qui ont refusé de cautionner la violence pendant la décennie noire. Le président et les autorités du pays ont non seulement donné leur aval, mais ils ont participé à la célébration.

Ensuite, les rencontres, au Caire et au Vatican, entre le pape François et Ahmad-Al-Tayyib, le grand imam de l’université d’Al-Azar, pour promouvoir la paix et la fraternité humaine. De là sont issus une charte sur la fraternité et des accords de coopération. Le pape a été fort critiqué pour ces rapprochements par ceux qui craignent l’hérésie, mais François choisit de prendre des risques parce que la fraternité est une urgence pour l’avenir de l’humanité. « Dans ses écrits et ses discours, le pape revient souvent sur ce thème de la fraternité universelle. Il était déjà présent dès son premier discours après son élection. Pour lui, c’est un chemin à entreprendre, et c’est cela qui compte. Lors de son voyage en Irak, il s’est présenté comme pénitent et pèlerin : c’est la démarche et l’aventure qui sont l’essentiel. Sans la fraternité, l’humanité va vers le néant », rappelle Monseigneur Vesco.

Pour le pape, la fraternité est une urgence qui nous engage avec les autres religions,  les autres confessions et les hommes de bonne volonté. C’est la nouvelle frontière de l’humanité, le défi de notre siècle. Nous sommes invités à reconnaître dans l’autre un croyant véritable qui doit être écouté. L’homme est au centre de ses préoccupations, et c’est par les hommes que nous pouvons atteindre Dieu.

Si le mot fraternité nous touche, nous, chrétiens, il faut prendre conscience que ce mot n’évoque rien à la jeunesse. Il ne fait pas partie de leur vocabulaire. La fraternité, c’est compliqué pour eux, elle fait problème. Il faut repartir du réel, de l’expérience. Or, dès sa naissance, le petit d’homme appartient à une famille, à son entourage, à des groupes. Cette famille, ces groupes, ont des limites, des frontières : une langue, une culture, une religion. Très vite, l’éducation consiste à identifier ces frontières et à les dépasser, à les ouvrir : l’école, les scouts, le club sportif … L’enfant fait donc l’expérience de la fraternité, il noue des loyautés : il abolit les limites, il peut dire à d’autres « tu es mon frère ». C’est une valeur très forte, mais qui risque d’être en déficit dans notre société individualiste.

Le Christ a habité notre humanité en révélant la dimension sacrée de la fraternité, qui dépasse les liens du sang ou des races. Il dit que sa mère, ses frères, ses sœurs, ce sont tous ceux qui s’ouvrent à sa parole. Il sort de l’appartenance juive et révolutionne les liens humains. L’horizon du croyant, c’est la fraternité offerte à tous. Le bon samaritain se laisse déranger par le blessé qui n’est pas de son peuple, de sa religion, et il décide de se faire proche. Il bouleverse l’identité qu’on lui a inculquée et il choisit d’autres liens. Jésus sur la croix est frère de tous. Il nous révèle que la fraternité vient de Dieu Père et conduit à Dieu.

Éduquer à la fraternité

Jean-Marie Petitclerc prend le relais pour parler d’éducation à la fraternité. Il fait d’abord remarquer que la notion ou sa réalité sont partagées par bien d’autres groupes que les chrétiens : les francs-maçons, les associations diverses, les clubs de toutes sortes, les habitats partagés…

On choisit ses amis, on ne choisit pas ses frères. Ils nous sont donnés, et il nous faut les faire exister comme frères par le geste et surtout par le regard échangé qui crée la réciprocité. Cela s’apprend.

L’expérience de la fraternité est une expérience de similitude et de différence. Tous participent de la même humanité, chacun est différent. Il faut apprendre à conjuguer les deux. Liberté et égalité sont données à tous : elles sont de l’ordre du droit ; la fraternité est la clé de voûte, et elle est de l’ordre du devoir : elle ne peut venir que de nous. C’est un impératif.
L’éducation est essentielle. Faire découvrir que la différence de l’autre est source d’enrichissement, et donc, apprendre à connaître l’autre pour supprimer la peur de ce qui est étranger. Il faut  aussi faire comprendre que le groupe a intérêt à faire sa place au plus faible, pour que celui-ci puisse apporter ce qu’il a à offrir.

Il est important aussi d’apprendre le respect de l’autre. Le respect, c’est plus que la tolérance qui juxtapose toutes les opinions, toutes les cultures ou les religions, toutes les idées et les comportements sans porter de jugement. Une tolérance où l’on évite de se sentir concerné, comme si tout était valable. Le respect n’est pas ne attitude passive, il fait la différence entre ce qui construit et ce qui détruit. Mais il ne condamne pas, car il s’adresse aux personnes, il ne rejette pas ce que l’autre vit.

L’éducation doit aussi apprendre à gérer les conflits. En effet, l’espace fraternel n’est pas exempt de conflits, et il faut apprendre à gérer son agressivité, à maîtriser ses frustrations. Cela s’apprend, car cela ne paraît pas naturel ; ce qui semble naturel, c’est la violence qui élimine celui qui gêne pour occuper tout l’espace. Dans les familles il y a des disputes entre frères, à l’école il y a des oppositions parfois fortes. On ne règle rien en séparant chacun de son côté, mais en faisant expliquer ce qui s’est passé, en verbalisant les points de dissension. Comme dans la fable du grand père qui explique qu’il y a en lui deux loups antagonistes, l’un violent, l’autre bienveillant, le loup qui gagnera sera celui que l’on nourrit…

Jean-François MEURS